mercredi 17 mars 2010

"Luchini lit Murray" au Théâtre de l'Atelier



Je ne m’attendais pas à revoir Fabrice Luchini sur scène avant un petit moment ; lui qui vient juste de terminer son « Point sur Robert » que j’avais adoré. Oui mais voilà, le 2 décembre 2009, à la demande de la veuve de Philippe Muray, Luchini a fait une lecture de cet auteur à La société des gens de lettres. Ca n’avait pas vocation à aller plus loin. Seulement ce fut un franc succès. D’où l’idée de le proposer à un public plus large que les membres de ce cercle restreint et privilégié. De ce point de vue l’objectif est atteint, grâce à des places à bas prix (15, 20 et 25 eur.), et grâce au choix du théâtre. Le théâtre de l’Atelier se situe dans le XVIIIe arr., il est mignon, accueillant et chaleureux. C’est l’anti-Marigny, l’anti-Théâtre des champs Élysées qui sont vastes et froids. Dans sa composition, le public était varié. Dans son attitude, il était éveillé et trépidant. L’écueil d’une lecture publique, c’est l’ennui, la froideur, la bien-pensance des « intellectuels pourris de Paris »*. C’est trop souvent le cas. Mais là, rien à voir !

Évidemment il arrive en terrain conquis et reçoit une salve d’applaudissement en montant sur scène. Il s’assoit à côté d’une table où sont disposés quelques ouvrages. Derrière lui le rideau est fermé renforçant le sentiment de proximité. Ce n’est pas une leçon de littérature, c’est un agréable aiguillage. En ce sens, même si le public est sien, il aime le prendre à rebours, le taquiner, l’entraîner sur des voies inconnues. Luchini commence par un court extrait de Cioran au cynisme inégalable et, ironique, nous prévient que ça c’est pour se détendre avant d’aborder des textes plus pessimistes encore. Puis il lit Philippe Muray. C’est un décryptage aigü du monde moderne dans ce qu’il a de plus absurde et sinistre. Il moque une époque où trônent l'hyper-festif et l'infantéisme. Ca fait rire autant que ça interpelle. Luchini s’atarde sur certains mots ou expressions, par simple amour de la langue et de la musique qu’elle produit. En ce sens il donne du relief au texte, une troisième dimension. Le texte est mis en espace. Pour le spectateur, écouter devient jouissif. Le comédien-lecteur procure autant de plaisir qu’il ne semble en prendre partageant ces textes. L'Art est placé très haut et il ne s'agit pas de l'abaisser, mais de nous élever.

Luchini est là aussi pour mettre en garde et nous aider à prendre de la distance par rapport aux écrits de Muray. Car l’on aurait vite fait de se laisser prendre au piège du style, qui est si fluide et si persuasif. Muray fut un pamphlétaire autant qu’un écrivain et un penseur, et il a beaucoup plus tapé à gauche qu’à droite, de manière parfois hargneuse. Mais dans les textes que nous fait découvrir Luchini, c’est sa peinture du monde actuel qui frappe juste et fort. Le poème sur la jeune touriste occidentale altermondialiste est criant de vérité. Luchini se délecte de pouvoir par moment interpeler et choquer certains. Dans l’ensemble, l’auditoire reste suspendu à ses lèvres, se régalant de chaque phrase, chaque mot, chaque syllabe qui est sublimée par l’élocution luchinienne. Ce spectacle n’est pas un spectacle, mais une lecture. Le précédent accordait une place immense au récit par Luchini de sa rencontre avec Barthes ou à ses imitations de Johnny. Lundi dernier, toute la place est revenue au texte. Deux jours après, il raisonne encore en moi.


PS : Le seul extrait disponible sur le net d’un texte de Murray sélectionné par Luchini concerne Ségolène Royal. À vous de juger.
http://www.nouveau-reac.org/textes/philippe-muray-le-sourire-a-visage-humain/


*: Expression de Ph.Caubère

2 commentaires:

L'assassin a dit…

C'est un défenseur (très) doué de la belle langue, il a un talent unique.

Ex-blonde a dit…

D'autres extraits sont disponibles ici : http://philippemuray.e-monsite.com/rubrique,portrait-de-l-avant-gar,1079580.html

et là :
http://www.philippe-muray.com/